Pourquoi je kiffe la science ou plus exactement, la méthode scientifique!

Ariane_Et_Les_Maths[Article de moyenne longueur: ~10 minutes de lecture]

Je suis tombée sur la chaîne de blog initié par Sirtin autours de la question “Pourquoi je kiffe la science. En regardant les profils des blogueurs qui ont répondu à l’appel, je me suis rendue compte qu’ils semblent tous avoir la bosse des maths! Non seulement cela, mais on dirait qu’ils adorent ça! Or, je connais depuis l’école primaire un véritable blocage cognitif concernant tout ce qui ressemble de près ou de loin à un problème d’algèbre ou de géométrie et je ne parle même pas du calcul différentiel! Dit autrement, même confrontée à une bête équation, je commence généralement par ressentir une sueur froide avant  même de commencer à réfléchir à la réponse. Pourtant, pourtant, je kiffe la science et ce, depuis toute petite!  Ce qui peut paraître contradictoire quand on sait l’importance des mathématiques dans toutes les sciences, même sociales.

Entre rancœur envers les maths….

Les maths ont été ma croix pendant toute ma scolarité et durant mes premières années universitaires, puisque j’ai commencé en biologie, avant de me ré-orienter plutôt vers la socio-anthropologie. J’ai donc développé une étrange relation avec cette discipline. Quand j’étais à l’école, de nombreuses personnes, parmi mes camarades ou mes professeurs, m’accusaient fréquemment de faire preuve de mauvaise volonté et de paresse intellectuelle. Selon elles, je refusais de chercher les solutions par moi-même, me contentant de faire semblant pour pouvoir ensuite justifier de leur demander la solution. J’ai toujours ressenti ces accusations comme une grande injustice, parce que je n’avais pas du tout l’impression d’être une tire-au-flanc. En effet, dans pratiquement toutes les autres branches, je donnais pleine satisfaction aux adultes autour de moi. Mais pas sans efforts! J’ai toujours dû pas mal travailler pour obtenir de bons résultats. Non seulement cela, mais en plus, j’étais sincèrement intriguée par les maths et terriblement frustrée par mon incapacité à comprendre les raisonnements et les méthodes de résolution des problèmes.  J’ai même éreinté plusieurs professeurs et tuteurs, pourtant animés par la passion de la transmission de l’amour des maths! Un véritable exploit à l’envers! Et je pense que cette frustration s’est progressivement transformée en une sorte de rancœur face à ces nombres, ces formules et ces problèmes qui semblaient totalement hors d’atteinte de mon intellect, quels que soient mes efforts. Au final, tout ce que je pouvais faire, c’était retenir les raisonnements tels quels et les appliquer de mon mieux, en associant des formulations d’énoncées avec certaines démarches apprises par cœur.  En effet, pour des raisons d’efficacité scolaire, lorsque venaient les examens, je finissais par me résoudre à ce pis-aller qui me permettait quand même d’obtenir une note passable. Cela ne signifie pas non plus que je ne comprends rien du tout aux maths dans leur ensemble. J’ai quand même fini par saisir la logique d’un certain nombre d’exercices, de problèmes et de raisonnements. Mais souvent avec des mois, voir des années de retard par rapport au programme scolaire.

Malgré cela, je n’ai jamais abandonné l’idée d’essayer de comprendre le fonctionnement des théorèmes et des équations que nous traitions dans nos cours. C’est ainsi que, paradoxalement, après avoir obtenu mon diplôme de Maturité (équivalent suisse romand du Baccalauréat) en section latin-anglais, je suis partie aux USA….faire des études de sciences. Mes parents, sur la base d’une expérience personnelle, espéraient qu’un changement total de système académique et pédagogique pourrait peut-être provoquer un déclic et me permettre de surmonter cet espèce de blocage vis-à-vis des maths. Et Dieu sait que j’en ai fait des maths, là-bas! Pendant deux ans et demi, j’ai passé la moitié de mon temps laborieusement penchée sur des statistiques, des probabilité, des fonctions et autres calculs différentiels: Math 105-106, Bio 101-102-170 et Cell Hell (oui, vous avez bien lu, l’enfer de la cellule….c’était un “short-term” un cours d’un mois intensif….j’ai encore la photo de groupe de ceux qui ont survécu!), Physics 107-108, Chemistry 107-108! Malheureusement, le déclic ne s’est pas vraiment produit et j’ai dû ramer comme jamais, parce que tous les cours étaient….et oui, en anglais! Non seulement cela, mais en plus, j’ai découvert que l’on pouvait faire des maths totalement différemment au point que je ne reconnaissais plus rien, surtout dans le domaine du calcul différentiel! Finalement, j’ai abandonné l’idée de faire un “major” (une spécialisation) en biologie, comme on m’y avait malgré tout fortement poussée, et me suis re-dirigée vers l’anthropologie. Par la suite, j’ai continué mes études dans le domaine des sciences sociales.

…et amour de la rationalité: le cœur a ses raisons que la raison connaît bien!

De manière rétrospective, je me demande si je n’étais pas un peu maso! Qu’est-ce qui a pu me convaincre de m’engager dans des études scientifiques, alors que cela faisait 10 ans que j’évitais la catastrophe en math (et en physique) uniquement grâce à mon excellente capacité à mémoriser des théorèmes et leurs démonstrations ainsi que les cas traités en classe? En effet, quand on sait la place centrale qu’occupent les mathématiques dans toute discipline scientifique, on voit mal comment une nulle en math comme moi aurait pu espérer faire une carrière en biologie ou dans n’importe quelle autre de ces sciences! Ou même continuer à s’y intéresser! Il suffit de jeter un vague coup d’œil à n’importe quel article scientifique dans ces domaines pour se rendre compte de la domination des nombres sur les lettres! Et ces dernières servent généralement à constituer un jargon absolument incompréhensible pour tout non-initié! Je me souviens encore du malaise presque physique que j’ai ressenti à la lecture du tout premier article de génétique qu’on m’avait demandé d’analyser en préparation d’un séminaire donné par un prof invité dans mon université! L’article tenait sur 2 pages recto-verso, couvertes de 3 colonnes de textes mini-riquiquis à l’interligne simple, sans marges, et uniquement interrompues par des tableaux de nombres et des graphiques! Après la dixième lecture, je n’avais toujours pas compris de quoi retournait l’article et j’étais au bord de la crise de nerfs! Je n’ai pas osé demander de l’aide à mon professeur, parce que je ne savais même pas quelle question poser, ni par où commencer!  Je pense que j’aurais été moins perplexe si ce papier avait été écrit en hiéroglyphes de l’Ancien Empire!

Alors, masochisme ou rationalité? Je pencherais malgré tout pour la seconde. Parce qu’outre le fait que la souffrance fait partie de la vie (Life is a piece of Shit comme le dit si bien le Brian des Monty Python) et que toute poursuite d’un but en implique,  il est tout à fait possible d’aimer la science et même d’y comprendre quelque-chose tout en étant un véritable manche en maths. Cela est notamment dû aux différents niveaux de définition de la science.  En effet, on estime que le terme “science” recouvre trois réalités qui s’entremêlent:

  1. La méthode permettant d’aborder la réalité matérielle de notre univers selon une démarche rationnelle visant à vérifier par l’expérience, basée sur des protocoles stricts et transparents, des hypothèses sur le fonctionnement de la nature. Ces hypothèses doivent pouvoir être réfutables afin d’éviter des procédés tautologiques, par lesquels on cherche absolument à confirmer des à prioris.
  2. Les institutions dans lesquelles se déroulent cette recherche ainsi que les politiques permettant leur financement et leur inscription dans l’espace de la cité.
  3. L’ensemble des applications technologiques qui peuvent être dérivées des connaissances acquises par la méthode scientifique. (cf. Hubert Krivine, “Sur le rejet moderne de la science”, in: Sciences & pseudo-science, no304, avril 2013: 35-36)

En général, le 3ème point constitue l’aspect de la science qui fascine le plus le grand public, même si le 2nd point est aussi régulièrement mis en scène dans des musées ou dans le cinéma et impressionne aussi beaucoup les gens. La premier aspect de la science, par contre, est probablement le plus méconnu et le plus rébarbatif à bien des égards, justement à cause de la prédominance des mathématiques dans la mise en œuvre des observations et des expériences ainsi que dans l’expression des résultats. Personnellement, j’ai longtemps fait partie de ce grand public, grâce à mes parents, qui nous (mon frère et moi) emmenaient régulièrement voir des expositions scientifiques et nous avaient abonnés à des revues comme Science & Vie Junior, puis Science & Vie tout court, dont j’ai gardé les numéros qui m’avaient le plus marquées, notamment un magnifique poster de l’intérieur d’une cellule qui a longtemps fièrement orné le mur contre lequel se trouvait mon bureau. J’avais même reçu un microscope pour enfant, vers l’âge de 9-10 ans, et je m’amusais à regarder toutes sortes de choses aux résolutions les plus importantes disponibles sur ce petit appareil. Mais, je m’en suis détournée dégoûtée le jour où on m’a proposée des plaquettes avec des gouttes de sang…..je ne supporte pas la vue du sang, alors, vous imaginez en version agrandie! Mon père s’intéressait beaucoup à nos cours de biologie, de chimie et de physique, et a été mon premier tuteur pour les maths! Et oui, j’ai évidemment réussi à lui faire perdre patience, malgré toute sa bonne volonté! Mais, si on ne mêlait pas trop les mathématiques aux explications sur les phénomènes scientifiques traités, je comprenais plutôt bien ce qu’on nous enseignait. Ce qui excluait évidemment la physique, laquelle n’existe tout simplement pas sans les maths. Pas même au niveau du point 3! J’aimais d’ailleurs beaucoup le contenu des programmes en biologie, chimie ainsi qu’en géologie et climatologie, deux éléments de nos cours en géographie. Pour plusieurs de ces branches, j’ai d’ailleurs eu des profs phénoménaux, passionnés par leur discipline et animés d’un enthousiasme à tous crins pour la transmission de leur savoir. Ceux-là ne m’ont d’ailleurs jamais considérée comme une cause perdue! De fait, la science était un sujet récurrent de conversation à table et nous aimions bien faire des activités familiales centrées sur la science. C’est ainsi que mes manuels universitaires de physique, de chimie, de biologie et de math constituent encore les livres de chevets de mon père! Il les adore! Il faut dire que les Américains sont quasi-imabattables en matière de didactique!

Au cours de mes études aux USA, j’ai été progressivement initiée au point 1 de la science, soit la méthode scientifique et, évidemment, au vu de mon blocage sur les maths, j’ai eu beaucoup de mal à la mettre en œuvre dans mes cours de biologie, chimie et physique.  Si je comprenais assez bien la logique et la rationalité à la base de la démarche consistant à poser des hypothèses explicatives sur le fonctionnement d’un phénomène que l’on a remarqué au préalable et que je n’avais pas trop de mal non plus à saisir les logiques gouvernant les protocoles d’expérience, le passage des mots aux équations et vice-versa a continué de constituer un vrai problème pour moi.  C’est là que j’ai pris conscience de la véritable origine de mon blocage: j’ai énormément de mal de passer du verbal aux nombres et vice-versa. J’ai d’ailleurs aussi beaucoup de difficultés à passer des mots aux images, ce qui explique que la traduction de mes idées en diapositives PowerPoint me prenne autant de temps!  Si j’ai réussi à comprendre un élément très important de l’interprétation des résultats scientifiques, soit la différence entre corrélation et relation de cause à effets, j’ai par contre toujours autant de mal à passer d’un calcul statistique et de probabilité à un autre pour exprimer en nombre l’interprétation des résultats. Et cela concerne évidemment mes études en sciences sociales. Parce qu’il faut bien le dire, si ces disciplines revendiquent leur appartenance au domaine de la science, c’est en grande partie parce qu’elles prétendent pouvoir découvrir des lois ou du moins des règles expliquant les comportements humains collectifs et exprimables sous forme chiffrée et quantitative.

La méthode scientifique, la vraie beauté de la science….même en sciences humaines et sociales!

Ainsi, ceux qui espèrent pouvoir fuir les maths en s’orientant vers la sociologie ou même l’anthropologie se trompent lourdement. Le principal problème rencontré par ces disciplines réside naturellement dans le fait qu’elles traitent de créatures dotées d’une conscience d’elles-mêmes, ce qui fait qu’elles ne se contentent pas de répondre à des stimuli et qu’elles peuvent être tentées de donner au chercheur ce qu’elles pensent qu’il veut, introduisant des biais importants dans la collecte de données. C’est d’ailleurs pour cela que l’on exige des chercheurs en sciences sociales quelque-chose qui n’est pas vraiment demandé de ceux en sciences “dures” (ou même “molles”), c’est-à-dire d’être particulièrement explicites sur leurs propres à priori et leur point de vue de départ, et de prendre en compte les éventuelles influences liées à l’interaction avec les personnes étudiées. En effet, dans le cadre d’une expérience sur des substances chimiques, des bactéries, des virus, des protozoaires, des plantes ou la plupart des animaux, les préjugés du chercheur ou son idéologie politique n’ont aucun effet sur les résultats de son expérience, sauf bien sûr s’il introduit ces biais personnels dans ses hypothèses et son protocole d’expérience. Mais alors, on parle généralement de recherches ratées, voir de pseudo-sciences si les auteurs s’obstinent dans ces biais.

Du coup, cela signifie qu’en sciences sociales, le chercheur doit prendre de multiples précautions lorsqu’il aborde une problématique sous l’angle quantitatif. Et de fait, si, comme en sociologie, on estime que l’on ne peut simplement sélectionner un ou deux paramètres en ignorant tout le reste du bagage socio-culturel et économique des individus compris dans un corpus, cela signifie que l’on se retrouve la plupart du temps à faire du qualitatif à cause de la difficulté à généraliser à une population entière les résultats de ces analyses très complexes. Et surtout, on fait beaucoup plus de descriptif que d’explicatif!  L’idéal est évidemment de faire du “qualitatif en quantité”, selon l’expression de Bertrand Bergier dans son livre sur les sans-télé (2010), mais cela implique des ressources humaines, financières et temporelles importantes.  Cependant, tout cela ne m’a pas empêché d’apprécier la beauté et la portée de la méthode scientifique. Au contraire. Je pense qu’en tant que doctorante en socio-anthropologie, j’en suis particulièrement consciente. En effet, si toutes les branches académiques peuvent être sujettes à des biais idéologiques personnels,  les milieux des sciences sociales et humaines y sont encore plus sensibles. La nécessité d’un recul critique et d’une grande rigueur intellectuelle y est d’autant plus importante!

C’est pourquoi je suis encore plus convaincue aujourd’hui qu’au début de mes études de l’importance de l’apprentissage de la méthode scientifique et du scepticisme qui l’accompagne! Par tout le monde, et pas seulement ceux qui se destinent à la recherche en sciences “pures”. Elle peut parfaitement s’appliquer à n’importe quelle quête intellectuelle, même si dans les disciplines des sciences humaines et sociales, elle ne pourra pas générer des résultats statistiques aussi stables que dans les sciences “naturelles”.  Cependant, le refus des à priori, des idées reçues, mais aussi et surtout des fausses évidences permet de garantir une certaine qualité à la connaissance ainsi constituée. On pourra me dire ce qu’on veut, mais une recherche historique fondée sur une approche scientifique sera toujours plus fiable qu’un récit basé sur des témoignages personnels jamais recoupés ni vérifiés, ni même vraiment replacés dans leur contexte, comme on en trouve si souvent parmi les best-sellers. Et elle sera aussi socialement et politiquement moins problématique, les souvenirs de victoire des uns pouvant s’opposer alors ad vitam aeternam à la mémoire de la défaite des autres, rejouant constamment le même conflit de générations en générations. Et des recherches sociologiques ou politiques menées scientifiquement vaudront toujours plus que la sociologie ou la science politique de café du commerce que nous servent régulièrement les pourfendeurs auto-proclamés du politiquement correct tombés pour la plupart dans la paresse intellectuelle.

Mais, en ce qui me concerne, si je kiffe autant la science, et tout particulièrement depuis quelques années le scepticisme scientifique, c’est simplement que je trouve cela beaucoup plus stimulant que la facilité offerte par les croyances en tous genres, qu’elles soient spirituelles ou simplement idéologiques, qui poussent les gens à se lancer dans des généralisations abusives leur faisant manquer leur cible, à prendre des raccourcis les menant directement dans des cul-de-sac et de manière générale, à appliquer au monde des grilles de lecture basées sur des préjugés ayant souvent déjà été démystifiées depuis longtemps! Je pense d’ailleurs que le scepticisme scientifique et le véritable esprits critiques constituent aujourd’hui le summum du politiquement incorrect!

7 thoughts on “Pourquoi je kiffe la science ou plus exactement, la méthode scientifique!

  1. Merci pour ta participation ! Je suis quand même étonné pour la place centrale des maths. OK en chimie et en physique. Ok pour avoir eu des cours sur les maths en deug. Mais plus je me spécialisais en biologie et plus les maths devenaient marhinaux. C’est justement l’une des raisons qui m’ont orienté vers la biologie vu que j’ai perdu pied en maths à partir du lycée. Je trouve que c’est une des disciplines les plus “littéraires” qui soient, surtout pendant les examens.
    🙂

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    • Pas dans mon expérience universitaire. Les maths, notamment les probabilités et les statistiques étaient omniprésentes. Et puis, avec la biologie, il y avait toujours de la physique et de la chimie….

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  2. Merci pour ce témoignage un peu de biais sur la science. 🙂

    (Je pense que pas mal de biologistes ne sont pas très forts en maths… et c’est parfois un petit problème.)

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    • Merci pour votre commentaire!

      Ensuite, je me demande sincèrement comment ont fait ces biologistes qui ont des problèmes en math….pour devenir biologistes. Une des raisons qui m’ont fait quitter la biologie était que j’avais de plus en plus de mal à passer les examens dans les divers cours de science que je devais prendre, à cause de cette centralité des maths. Ou alors, les universités dans lesquels ils ont étudié ne leur posaient pas beaucoup de questions mathématiques au cours des examens! Et ils n’ont pas fait leur cursus aux USA, parce que pour pouvoir entrer dans un master et un doctorat en science, il faut passer les GRE, qui sont de examens pour lesquels y a intérêt à bien maîtriser les maths! Or, pour pouvoir continuer dans une bonne université, il faut obtenir un excellent score à cet examen, je crois dans les 80% et mieux.

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