Commentaire à chaud #1 | Quand l’UDC nie aux autres la liberté d’expression trash qu’il revendique pour lui-même

Je viens de tomber sur cet article de la Tribune de Genève: Plainte: Drapeau suisse sur du papier WC: Olivier Jornot ouvre une enquête. Apparemment, lors de la fête nationale du 1er août, des petits rigolos d’extrême-gauche anti-fasciste se sont amusés à placarder des affiches représentant un rouleau de papier de toilette aux couleurs du drapeau suisse, avec l’exclamation suivante: Le nationalisme aux chiottes! Pas de guerre entre les peuples! Pas de paix entre les classes! Ni une, ni deux, nos champions auto-proclamés de la défense du peuple suisse et de tout son attirail, surtout le drapeau, ont immédiatement porté plainte! Le député et conseiller municipal UDC, Christo Ivanov, justifie cette décision en nous expliquant, la bouche en cœur, que [L]la provocation a des limites car on n’a pas le droit d’utiliser le drapeau pour salir son pays et qu'[I]il faut un minimum de respect!  Ben voyons! Ainsi, selon ces chers UDC, la liberté d’expression en Suisse ne serait pas uniquement limitée par le droit à sa réputation et à son image (calomnie, diffamation, utilisation abusive de photos) et par la sécurité publique, mais aussi par l’amour inconditionnel des symboles nationaux chez leurs électeurs. Et il ne faut pas plaisanter avec le sentiment patriote, hein! Sauf bien sûr quand c’est l’UDC qui s’exprime…..

De fait, on n’a pas vraiment l’impression que les dirigeants et pontes de notre dernière ligne de défense nationale (comme ils aiment à se présenter), ne ressentent ce genre de prévenance, quand il s’agit de leurs propres communications politiques En effet, qui représentait les “bons” Suisses en moutons blancs (avec tout ce que cela implique comme sous-entendu) gambadant sur un drapeau Suisse (et chassant le méchant “mouton noir” hors du drapeau d’un gros coup de pattes arrières)? Qui s’est permis, sur une autre affiche, de parsemer ce même drapeau de minarets en forme de missiles? Qui a osé représenter Ben Laden sur une cartes d’identité suisse, en prétendant que nos lois permettraient bientôt à n’importe quel terroriste, même le plus recherché au monde, d’obtenir la nationalité helvétique? Qui a conçu une affiche sur laquelle des pieds piétinent le drapeau suisse? Qui passe son temps à dénigrer nos institutions politiques, symboles de la particularité de notre pays, jusque dans ses campagnes électorales, en insultant au passage un pan entier de la population (qui ne vote naturellement pas UDC)? De toute évidence, pour l’UDC, les symboles patriotiques et tout ce qu’ils représentent peuvent être utilisés comme de vulgaires bouts de chiffon qu’on manipule et tord à tout-va, sans autre soucis des sensibilités du reste de la population.

Mais surtout, qui est régulièrement le premier à crier au martyr d’une liberté d’expression que la soit-disant toute puissante bien-pensance essaierait de leur nier quand des associations de l’autre bord portent plainte contre ces diverses affiches au noms de l’article 271bis du code pénal (concernant l’incitation à la haine raciale et à l’antisémitisme)? Toujours l’UDC! Apparemment, ce n’est pas le soucis de la cohérence qui risque de l’étouffer. Ainsi, leur liberté d’expression devrait être totalement garantie, mais celle des autres, lorsqu’elle heurte leur “sensibilité” (et non pas leur personne ou même leur image) et celle de leurs électeurs, devrait être limitée? Et qu’en est-il de la sensibilité des 75% de citoyens qui ne votent pas UDC et, parmi eux, des quelques 30-40% de ceux qui ne votent jamais pour leurs initiatives, mais qui doivent se coltiner les campagnes trash de l’UDC à longueur d’années, et ce depuis maintenant près de deux décennies? L’UDC s’assied lourdement dessus! Et bien, il va falloir que la justice leur rappelle que ce qui est valable pour eux en matière de liberté d’expression l’est aussi pour les autres! Dit autrement, ils ne sont pas les seuls habilités à faire des campagnes trash et choquantes! Si les citoyens suisses de diverses sensibilités doivent accepter d’être exposés à leurs horreurs propagandistes plusieurs fois par an, ils doivent bien pouvoir supporter ponctuellement les quelques malheureuses petites affiches représentant de petits drapeaux suisses sous forme de papier de toilette!

Affiche de la campagne fédérale de l'UDC en 2007

Affiche de la campagne électorale fédérale de 2007 appelant à voter pour les listes UDC, afin d’assurer non seulement la ré-élection de Christophe Blocher au Conseil Fédéral par le parlement (qui échouera sur toute la ligne grâce à un coup politique des autres partis, vache mais tout ce qu’il y a de plus légal) et son renforcement au sein de cet exécutif. Où l’on a pu voir à quel point l’UDC est une machine au service de quelques pontes, dont Christophe Blocher, à tel point que le parti n’a pratiquement aucune relève suffisante à présenter pour des postes à responsabilité à l’exécutif national ou même dans les gouvernements cantonaux. © 2007 20Minutes.ch

Sinon, qu’ils aillent demander l’asile en Corée du Nord! Avec leur culte du chef de parti, ils ne devraient pas se sentir trop dépaysés!

Edit du 28.09.2012: Drapeau suisse sur papier WC: l’UDC Christo Ivanov débouté

Sans aller dans les détails, il apparaît que le procureur de Genève a simplement refusé d’entrer en matière. De fait, le drapeau arboré sur l’affiche n’est pas un des symboles officiellement affichés par la configuration. Il n’y a donc pas eu de profanation des armoiries fédérales. Pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’une représentation du drapeau suisse et non pas du drapeau suisse en lui-même. Il faut aussi revenir au message de l’affiche incriminée. Que l’on soit d’accord avec celui-ci ou pas, il est un fait que ce n’est pas le drapeau qui est visé, mais l’usage qui en est fait par les partis d’extrême-droite. En l’occurrence, on est donc en face d’un pur problème de liberté d’expression. Les arguments plaidant pour une imitation des pays étrangers me semblent ironiques de la part de gens qui passent leur temps à refuser tout élément politico-culturel venant de l’extérieur de la Suisse.

8 thoughts on “Commentaire à chaud #1 | Quand l’UDC nie aux autres la liberté d’expression trash qu’il revendique pour lui-même

  1. Actarus says:

    Intéressant, il y a des badauds en Egypte (et ailleurs) qui pensent que la liberté d’expression a des limites. “innocence of muslims”, c’est aussi de l’art?

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    • Et il se trouve que je ne suis pas d’accord avec ces badauds. Ce film est certainement une forme d’art. Probablement de l’art de mauvais goût et de qualité médiocre, mais de l’art quand même. Après tout, il n’est écrit nulle part que l’art doit forcément être raffiné et intelligent. C’est certes mieux pour tout le monde, mais tout le monde n’en est pas non plus forcément capable!

      S’il fallait tenir compte de toutes les sensibilités esthétiques, religieuses et culturelles, on ne pourrait pratiquement plus rien publier, parce qu’il y aura toujours des gens pour se sentir agressés dans leurs opinions ou convictions. Si vous saviez à quel point ma mère vomit l’esthétique manga, mais elle n’a pourtant pas encore brûlé ma bibliothèque et ne le fera jamais! Et perso, je n’ai encore jamais tenté d’arracher des pubs affichant des nanas à moitié nues et dans des positions de soumission sexuelle quasi-pornographique, ni n’ai même participé aux tentatives de les faire censurer par la loi. Pourtant, Dieu sait que ça choque mon féminisme!

      Bref, la démocratie, c’est en grande partie devoir supporter les tonnes de fadaises, d’âneries, voir de grossièretés et même d’outrances que ses propres concitoyens peuvent déverser dans l’espace public, quitte à y répondre, en faisant alors usage de sa propre liberté d’expression. Et par liberté d’expression, j’entends naturellement dans le respect de la loi. Aller rouer de coups le bonhomme qui a eu le malheur de dire quelque-chose qui vous déplaît n’en fait évidemment pas partie. Ni même le diffamer ou le calomnier.

      Cela dit, les Egyptiens n’ont pratiquement aucune expérience de la démocratie et ils vont devoir l’apprendre, ce qui prendra évidemment du temps. Leur révolution remonte à à peine une année et il leur faudra probablement au moins une génération au minimum pour développer leur système démocratique. S’ils y arrivent un jour. Il n’y a évidemment aucune garantie. Mais, il n’y en avait aucune non plus quand les pionniers européens et américains se sont lancés dans cette aventure! Les premiers temps des démocraties occidentales n’étaient pas tristes non plus! Les gens ont mis du temps à admettre qu’ils devaient écouter leurs concitoyens sans leur coller des châtaignes et des marrons, ni même carrément déclencher des conflits armés! Et si vous trouvez la presse d’aujourd’hui et la communication politique actuelle dans l’espace public choquantes, vous devriez voir comment c’était au 18ème et au 19ème siècles ainsi que dans la première moitié du 20ème! Là, c’était vraiment gratiné!

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  2. Actarus says:

    Malheureusement votre commentaire a perdu en crédibilité dès le moment où vous avez dit “… que je juge, par ailleurs de pacotille…”. Je ne suis pas udc mais j’accepte leur vision de la suisse tout comme celle des autre partis. Nous ne sommes pas ici entrain de parler de politique mais de signes nationaux tel que le drapeau. Utiliser un symbole pour prévenir un danger (encore une fois, vrai ou pas, on s’en fiche – mais pas vous on dirait, on a bien compris que vous crachez sur l’udc) a un sens alors que le dégrader avec du papier toilette est simplement insultant. C’est quoi, de l’art? De l’anarchie? On en sait rien, au mieux de la provoque gratuite, au pire du mauvais goût.

    Je me fiche que l’udc utilise le drapeau suisse comme je me fiche du ps qui m’impose son drapeau européen à chaque occasion alors que je suis contre l’europe sous cette forme actuelle. Par contre, insulter gratuitement mon drapeau demande des justifications et je comprends l’udc dans cette optique (d’accord ou pas avec leur campagne). La liberté d’expression qu’ils défendent est importante et souvent, quand on a rien à dire, il vaut mieux se taire plutôt que de cracher sur le drapeau.

    Je sais aussi qu’il est interdit par la loi de brûler le drapeau américain ou l’éffigie de la reine d’Angleterre par exemple. Avez-vous vérifié si en Suisse, la dégradation du drapeau est permise?

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    • Mon commentaire ne perd aucunement en crédibilité parce que je considère le patriotisme de l’UDC comme étant de pacotille. Je n’ai aucune obligation d’accepter leur vision de la Suisse et j’ai absolument le droit de la critiquer, ce dont je ne me prive jamais. Après tout, l’UDC et ses partisans ne se gênent pas pour traiter les gens comme moi d’élites universitaires gaucho-communistes-fascistes-angéliques-droit-de-l-hommistes-eurabianistes vendus au cosmopolitisme et prêts à trahir la Suisse à la moindre alerte, sans pour autant qu’aucun d’entre nous ne leur ait intenté de procès! Et je peux vous assurer que lorsque l’UDC proclame que “Les Suisses votent UDC”, sous-entendu, ceux qui ne votent pas pour ce parti ne sont pas des vrais Suisses ou de bons patriotes, il ne montre aucun respect pour les visions de la Suisse autres que la sienne! Je les écoute volontiers et j’accorde d’ailleurs beaucoup plus d’attention à leurs discours qu’ils n’accorderont jamais à ceux qui viennent de gens comme moi, mais ne me demandez pas de simplement l’accepter sans rien dire ni même émettre la moindre critique de peur d’égratigner leur sensibilité!

      Ensuite, à partir du moment où l’on admet que certains utilisent les symboles nationaux pour leurs propres propagandes, alors on ne peut pas interdire à d’autres d’en faire de même. Vous prétendez que l’UDC fait un usage légitime des symboles suisses pour avertir la population d’un danger. Outre que cela peut sérieusement se discuter, dans la mesure où leurs dangers sont généralement vastement exagérés, quand ils ne sont pas carrément imaginaires, je vous signale juste alors que ces militants d’extrême-gauche ont fait exactement la même chose! Si vous suivez le lien que j’ai donné dans mon poste et lisez le texte de l’affiche ainsi que du site de ces militants, vous vous rendez compte qu’ils ne s’en prennent absolument pas au drapeau suisse, mais qu’ils dénoncent uniquement le danger d’un nationalisme bourgeois étriqué, xénophobe et haineux qu’ils perçoivent dans les discours de certains “patriotes” auto-proclamés.

      Bien que je ne sois pas du tout d’accord avec leur vision marxiste des choses, je ne vois pas, dans cette affiche, où ils insultent le drapeau. Au pire, ils insultent les nationalistes, en s’attaquant à leur fétichisation du drapeau, ce qui n’est pas du tout pareil. Donc, votre analogie avec l’acte consistant à brûler un drapeau tombe à l’eau. En effet, lorsque l’on brûle un drapeau, on manifeste généralement sa haine pour un pays tout entier et tout ce que son drapeau peut représenter (même si dans certains cas, cet acte est motivé par une contestation plus ciblée, notamment lorsqu’il s’agit d’anti-militariste américain….). Ce n’est pas ce qu’ont fait ces militants. Ils disent très clairement qu’ils visent avant tout le nationalisme bourgeois, essentiellement à la sauce de l’extrême-droite, pas le pays ni ses symboles. De fait, je suis à peu près sûre que même aux USA, ces militants gagneraient leur procès contre ceux qui le leur aurait intenté pour insulte aux symboles nationaux. Bien sûr, dans d’autres pays moins démocratiques et plus chauvins encore, ces militants iraient à coups sûrs en prison. Mais, voyez-vous, je ne suis pas sûre que l’honneur suisse sortirait grandi d’un appel à une telle censure, sous prétexte d’imiter ce qui se fait dans des pays autoritaires, où règne en plus l’arbitraire d’état….à moins bien sûr, que certains parmi ceux qui soutiennent cette démarche de l’UDC, ne voient d’un bon oeil une reprise en main plus autoritaire des citoyens contestataires. Mais, à ce moment-là, nous seront très nombreux à nous opposer à ce genre de dérive, je vous le garantis!

      De fait, cette propagande n’est pas plus violente ou injurieuse que celles dont l’UDC a coutume. A force de répandre des propos haineux, mesquins, et injurieux, et bien l’UDC et ses partisans récoltent la pareille. On ne peut pas constamment tenir des discours d’une incroyable virulence à l’égard de populations entières et de tous ceux qui ne pensent pas comme vous, pour s’attendre ensuite à du respect. Les gens de la droite dure se plaignent constamment que l’on ne parle pas assez “vrai”, que l’espace publique est saturé de “bien-pensance” et de “politiquement correct”, que l’on cherche constamment à les censurer (et ce, alors que leur “parler vrai” se dissémine partout) et quand ils se le prennent en pleine figure, ils se plaignent qu’on ne tient pas suffisamment compte de leur sensibilité patriotique et que l’on ne respecte pas leur vision de la Suisse? C’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité! Et j’espère bien que le juge le leur rappellera! La liberté d’une propagande trash est la même pour tous! Ils nous imposent la leur, qu’ils acceptent celle qui vient ponctuellement d’un autre bord. Avant d’être en Suisse, nous sommes en démocratie, et cela, pas forcément grâce à ces patriotes auto-proclamés! Cela aussi, il faudrait le leur rappeler parfois!

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      • Actarus says:

        Comme le dit l’article 270 du code pénal,

        “Art. 270
        Atteinte aux emblèmes suisses
        Celui qui, par malveillance, aura enlevé, dégradé, ou aura par des actes outragé un emblème suisse de souveraineté arboré par une autorité, notamment les armes ou le drapeau de la Confédération ou d’un canton, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.”

        Il est interdit de dégrader le drapeau suisse. Votre haine de l’udc vous aveugle et vous mélangez politique et marketing. Ce qui vous choque sur les affiches de l’udc, ce n’est pas l’utilisation du drapeau suisse mais plutôt les bottes noires, les corbeaux, les minaret-fusées et les moutons. Je suis même prêt à parier que si un drapeau suisse brûle devant vous, cela ne vous ferait pas plus d’effet que ça. Je ne supporte ni l’extrême-droite protectionniste, ni l’extrême-gauche totalitaire. Seulement, vous l’avez dit vous-même, avec cette action ces derniers s’attaquent bel et bien aux suisses (droite bourgeoise ou pas, car sans l’être, je me sens insulté) alors que les affiches de l’udc s’attaquent aux criminels étrangers et à l’invasion islamiste (la forme est discutable, le fonde,ent aussi mais là n’est pas la question!). Donc oui, je ne suis pas plus choqué des affiches de l’udc sans en faire partie pour autant mais je suis bel et bien outré par cette représentation du drapeau suisse en papier toilette.

        Vous devriez prendre 5 minutes pour vous demander si sans votre haine de l’udc, vous auriez le même raisonnement. Vous confondez propagande politique anti crimnels-étranger et islamistes d’un parti que vous détestez avec une insulte au drapeau suisse, contre des suisses. On peut être fier de son pays sans être un nationaliste udc et voilà pourquoi cette dégradation du drapeau suisse a raté sa cible et mérite une condamnation. Il y a une différence entre liberté d’expression et insulte envers sa propre patrie.

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        • “Il y a une différence entre liberté d’expression et insulte envers sa propre patrie.”

          Non, aucunement, comme je l’ai exprimé dans mon billet et dans mes réponses précédentes. Le droit de vomir sa patrie est même au cœur de la liberté d’expression démocratique. Parce qu’en réalité, la plupart du temps, ce que les nationalistes comme vous appellent “l’insulte à la patrie” ne sont rien d’autres que des critiques, virulentes certes et qui font souvent mal, mais néanmoins des critiques. Et à ce titre, parfaitement légitimes, même si elles vous insupportent. Tant pis pour votre sensibilité égratignée! Comme je l’ai déjà dit, la mienne est constamment piétinée et je ne monte pas pour autant sur mes grands chevaux, ni ne porte plainte contre qui que ce soit! Sinon, je crois que mon nom apparaîtrait dans tous les tribunaux du pays pour des plaintes à répétition, vu ce que je dois me coltiner au quotidien comme horreurs politiques ou publicitaires (notamment des derrières de femmes dénudés, etc.) en format mondial!

          Vous vous référez à l’article 270 du code pénal, mais vous en faites une interprétation qui est digne de ce qui se passe dans nombre de pays autoritaires, voir dictatoriaux, qui utilisent ce genre d’arguments pour réduire au silence les voix qui critiquent les gouvernements ou certains acteurs politiques influents. En effet, il est tellement facile d’accuser des critiques, surtout lorsqu’ils se font particulièrement mordants, de haine de la patrie! Cependant, nous sommes en Suisse, et en réalité, cet article ne s’applique pas aux images de symboles suisses, mais bien aux “emblème(s) suisse(s) de souveraineté arboré(s) par une autorité, notamment les armes ou le drapeau de la Confédération ou d’un canton”, soit, aux drapeaux qui trônent sur des bâtiments officiels ou des statues représentant Helvetia, des bâtiments étatiques, etc. Vous m’accusez de confondre politique et marketing, mais en réalité, c’est vous qui faites cette confusion, en mettant une image et ce qu’elle représente sur un même plan. Peut-être devriez-vous réfléchir au fameux tableau de René Magritte représentant une pipe, mais intitulé, tout à fait logiquement, “Ceci n’est pas une pipe” (http://www.vulgart.be/wp-content/uploads/2010/11/Magritte-La-trahison-de-image.jpg). Effectivement, ce n’est pas une pipe, mais une peinture, qui représente une pipe. De la même manière, l’affiche de ces militants n’est pas un drapeau suisse en papier de toilette, mais une image représentant un drapeau suisse en papier de toilette. Bref, il n’y a aucun outrage à un quelconque “emblême suisse de souveraineté”, mais bien une attaque frontale contre l’interprétation que font certains nationalistes de ces symboles. C’est une énorme nuance et si vous ne savez pas la faire, je vous garantis que les juges, eux, sauront la faire. Sinon, on est alors plutôt mal barré pour la démocratie en Suisse!

          De plus, contrairement à ce que vous prétendez, cette affiche n’insulte pas et ne vise pas à insulter TOUS les Suisses, mais clairement, s’en prend uniquement à certains, clairement définis comme nationalistes xénophobes, d’extrême-droite et bourgeois. Le slogan de l’affiche n’est pas “Aux chiottes la Suisse (ou les Suisses)”, mais bien “Aux chiotte le nationalisme”. Il ne s’en prend donc même pas directement à des gens, mais à une idéologie, certes, portée par des gens. Cela vous choque peut-être de voir votre grille de lecture du monde ainsi mal traitée, mais comme je l’ai dit, la critique, même virulente, d’une idéologie est tout à fait admise dans une démocratie. Après tout, j’ai bien dû supporter d’être représentée sous la forme d’un mouton par l’UDC, alors, qu’honnêtement, la symbolique métaphorique attribuée aux moutons n’est pas particulièrement flatteuse. En effet, je ne me sens certainement pas comme une andouille qui suit le mouvement sans réfléchir et bêle bêtement en cœur avec les autres. Mais, apparemment, c’est comme cela que l’UDC se représente le citoyen suisse idéal! Merci, mais…non merci!

          En réalité, le droit de critiquer une idéologie est même considérée comme étant au au fondement-même du processus démocratique. Si plus personne ne peut attaquer les idées avancées dans l’espace publique par d’autres gens, pouvez-vous me dire ce qu’il reste de la démocratie? Pas grand-chose! Ainsi, quand l’UDC clame à travers tous le pays et sur tous les médias que “Les Suisses votent UDC”, sous-entendu, les citoyens qui ne votent pas pour ce parti, sont de mauvais Suisses, voir des traîtres, ils expriment bien une attaque d’une incroyable violence contre tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Pourtant, si quelqu’un avait tenté de leur faire un procès pour insulte à la patrie ou au peuple, il aurait été renvoyé à ses dossiers par le tribunal. De fait, la Constitution fédérale protège bien l’expression sous toutes ses formes, même choquante, dans les limites de la sécurité publique, de l’exercice de la justice, de la protection de la santé et de la morale et des droits d’autrui à sa réputation , ainsi que le confirme l’article RS 0.101. Art 10: Liberté d’expression:

          “1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

          2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.”

          Nulle part il n’est fait mention ou n’est même suggéré que la sensibilité patriotique de certains constituerait une limite à la liberté d’expression des autres. Et non, par préservation de la “morale”, il n’est pas entendu la préservation des sensibilités personnelles et identitaires. Sinon, on se retrouverait à censurer nombre d’artistes modernes et contemporains, dont certains se sont moqués de manières parfois encore plus cruelles et mordantes de la Suisse, que ces militants d’extrême-gauche. Et il est heureux que cette liberté d’expression soit comprise dans un sens large. Sinon, son rétrécissement sera valable pour tout le monde, et pas uniquement pour les militants d’extrême-gauche.

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  3. Actarus says:

    Il y a quand même une différence entre une affiche udc qui dénonce une menace (vraie ou fausse, on s’en tape) et une attaque sur notre drapeau suisse en le ridiculisant. Cela revient un peu à brûler un drapeau, c’est insultant pour la Suisse. Mais je comprends qu’il faille être un peu patriotique pour comprendre et un minimum fier de son pays pour voir que notre drapeau tourné en ridicule est innacceptable, udc ou pas.

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    • Mon propos n’est pas de comparer la légitimité de l’usage des symboles nationaux dans une communication politique par tel ou tel parti ou mouvement citoyen, mais uniquement de démontrer que l’UDC prétend monopoliser cet usage et le droit de s’asseoir sur les sensibilités des autres citoyens. Je ne m’exprime absolument pas sur le “patriotisme” de l’UDC, que je juge, par ailleurs de pacotille, mais sur le fait que ce parti ne supporte pas la moindre petite provocation, alors qu’il a fait de l’outrance et de la virulence extrême sa principale tactique discursive et communicationnelle, au prétexte d’un soit-disant “parler vrai”. Les “sensibilités” personnelles ou identitaires ne sont pas protégées par le droit et il n’est écrit nulle part que le débat publique doit ressembler à une gentille discussion entre mamies autours d’une tasse de thé et de gâteaux à la fraise. De fait, si certains décident d’y aller de toutes leurs forces verbales, utilisant à fond leur liberté d’expression, comme des bourrins, ils peuvent alors s’attendre à ce que d’autres utilisent les mêmes armes discursives et un style tout aussi vache et choquant. Et c’est ce qui arrive ponctuellement, comme dans cet épisode.

      Ensuite, vous voyez peut-être une grande différence morale entre la désacralisation directe du drapeau comme dans cette action, et son usage pour de la propagande politique dite patriotique. En réalité, il ne s’agit pas de patriotisme, mais de nationalisme étriqué avec de gros sous-entendus totalitaristes, et du coup, cela me gêne presque plus de voir le drapeau instrumentalisé pour présenter un programme politique xénophobe et violent. Pour moi, c’est bien une forme d’insulte au drapeau, particulièrement hypocrite d’ailleurs.

      Enfin, en ce qui me concerne, je me considère comme bien plus “patriote” que la plupart des champions auto-proclamés de la défense de la Suisse, dans la mesure où ce qu’il défendent n’est pas la Suisse actuelle, ni même la Suisse historique, mais un fantasme mythomane d’une Suisse montagnarde, neutre, indépendante et démocratique depuis le pacte soit-disant fondateur de 1291. Ils me font penser à ces parents-poules qui refusent de voir leurs enfants tels qu’ils sont, avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts, et qui s’entêtent à les traiter comme de fragiles petites choses sans défense qu’il faut absolument préserver de tout, au point d’en faire de sales gosses pourris-gâtés, incapables d’affronter la réalité complexe et difficile.

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